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BALLUSTRADES XIVème Siècle

Pour rendre sa balustrade à jour très-rigide, tout en la découpant délicatement, l'architecte de Saint-Urbain la composa d'une suite de triangles chevauchés réunis par leurs côtés, et formant comme autant de petits liens inclinés se contre-butant mutuellement de manière à éviter les chances de rupture. C’était là, il faut le dire, plutôt une combinaison de charpente qu'une construction de maçonnerie; mais il faut dire aussi que la pierre à laquelle on imposait cette fonction anormale est

balustrade St Urbain

de la pierre de Tonnerre, d’une qualité, d’une fermeté et d’une finesse extraordinaires, qui lui donnent, une fois taillée, l’aspect du métal. Certes, cela était Ingénieux et bien raisonné comme appareil; il était impossible de dominer la matière d’une façon plus complète que ne le fit avec succès le savant architecte de Saint-Urbain mais, pour ne parler que de la balustrade dont il est ici question, cette suite de petits triangles semblables aux grands triangles formés par les gâbles est fâcheuse au point de vue de l’art. L’œil est tourmenté par ces figures géométrique, semblables, mais inégales; l’harmonie, qui doit résulter, non de la similitude des diverses parties d’un édifice, mais de leur contraste, est détruite. Ici, comme dans toutes les formes de l’architecture adoptées à partir de cette époque, le raisonnement, la combinaison géométrique, prennent une place trop importante; le sentiment, l’instinct de l’artiste disparaissent étouffés par la logique. L’amour des détails, les raffinements dans leur application, vinrent encore ôter aux balustrades leur sévérité de formes. Les architectes du XIIIème siècle, mus par ce sentiment d’art qu’on retrouve à toutes les belles époques, avaient compris que plus les membres de l'architecture sont d’une petite dimension, plus leurs formes veu¬lent être largement composées, afin de ne pas détruire l’aspect de grandeur que doivent avoir les édifices ; car, en multipliant les détails sans mesure, on rapetisse l’architecture au lieu de la grandir.

Si parfois, auxine siècle, dans quelques monuments exécutés avec un grand luxe, on s’était permis de faire des balustrades très-riches par leur combinaison et leur sculpture, ce sentiment de la grandeur apparaissait toujours, elles détails ne venaient pas détruire les masses : témoin la balustrade qui couronne le passage réservé au-dessus de la porte sud de Notre-Dame de Paris (fig. 17), élevée en 1257. Il est impossible de grouper plus d’ornements et de moulures sur une balustrade, et cependant on remarque qu’ici Jean de Chelles, l’auteur de ce portail, avait compris que l’excès de richesse prodigué sur un petit espace pouvait détruire l'unité de sa composition, car il avait eu le soin de relier cette balustrade aux divisions générales de l’architecture par des colonnettes engagées qui viennent la pénétrer et la forcer, pour ainsi dire, à participer à l’ensemble de la décoration . Aussi raffinés, mais moins adroits, les architectes du XIVème siècle arrivèrent promptement à la maigreur ou à la lourdeur car ces deux défauts vont souvent de compagnie dans les compositions d’art, en surchargeant les balustrades de profils et de combinaisons plus surprenantes que belles. Ils cherchèrent souvent des dispositions neuves, et ne se contentèrent pas toujours de la claire-voie percée dans une dalle de champ et couverte par un appui horizontal. Parmi ces nouvelles formes, nous devons citer les crénelages.

 Balustrade

Les créneaux avec leurs merlons se découpaient vivement au sommet des édifices, et donnaient déjà, par leur simple silhouette, une décoration. On se servit parfois, pendant le XIVème siècle, de cette forme générale, pour l’appliquer aux balustrades. C’est ainsi que fut couronnée la corniche supérieure du chœur de la cathédrale de Troyes. Cet exemple de balustrade crénelée ne manque pas d’originalité, mais il a le défaut de n’être nullement en harmonie avec l’édifice; nous ne le donnons d'ailleurs que comme une exception (fig. 18). Les merlons de cette balustrade crénelée sont alternativement pleins et à jour; les appuis des créneaux sont tous à jour. Derrière chaque merlon plein est un renfort À qui donne du poids à l’ensemble de la construction et retient son dévers. On remarquera que cette balustrade est composée d'assises de pierre d’un assez petit échantillon, et cela vient à l’appui de ce que nous avons dit au commencement de cet article : que les matériaux et leurs dimensions exerçaient une influence sur les formes données aux

balustrade cathédrale e Troyes

balustrades. Et en effet, à Troyes, on ne se procurait que difficilement alors des pierres basses, mais longues et larges, propres à la taille des balustrades à jour posées en délit. II fallait les faire venir de Tonnerre ; elles devaient être chères, et ces réparations faites au XIVème siècle à la cathédrale de Troyes sont exécutées avec une extrême parcimonie. À l’église Saint-Urbain delà même ville, presque contemporaine de ces restaurations de la cathédrale, mais où la question d’économie avait été moins impérieuse, nous avons vu, au contraire, comme l’architecte avait profité de la qualité et de la dimension des pierres de Tonnerre pour faire des balustrades minces et composées de grands morceaux.

Il n'est pas rare de trouver dans les édifices du commencement du XIVe siècle des balustrades pleines, décorées d’un simulacre d’ajour. C’est surtout dans les pays où la pierre, trop tenace ou trop grossière, ne se prêtait pas aux dégagements délicats des redents et ne conservait passes arêtes, que ces sortes de balustrades ont été adoptées.

Saint Bégnigne Dijon
Saint Bégnigne Dijon

Dans la haute Bourgogne, par exemple, où le calcaire est d’une qualité ferme et difficile à évider, on ne fit des balustrades à jour que fort tard, et lorsque le style d’architecture adopté en France envahissait les provinces voisines, c’est-à-dire vers le commencement de me siècle; et même alors les tailleurs de pierre se contentèrent-ils souvent de balustrades pleines, de dalles posées de champ, décorées de compartiments se détachant sur un fond. C’est ainsi qu’est taillée la balustrade qui surmonte les deux chapelles du transept de l’église Saint-Bénigne de Dijon.

balsutrade cathédrale de béziers

Le cloître de l’église cathédrale de Béziers, dont la construction date des premières années du XIVème siècle, est couronné d’une balustrade composée delà même manière comme compartiments et comme appareil. Ce qui est créative par la nature grossière de la pierre du pays, qui est un calcaire alpin poreux, tenant mal les arêtes. Seulement ici (lig. 18 ter) l’appui forme recouvrement, il est rapporté sur le corps delà balustrade. L’assise d'appui, taillée dans une pierre d’un grain plus serré, protège les dalles de champ, et (fait qui doit être noté) cet appui porte une dentelure, sorte d’amortisse¬ment fleuronné couronnant la balustrade. Celle-ci, étant pleine, terminait lourdement les arcades du cloître; sa ligne horizontale, se détachant sur le ciel reliait mal les pinacles qui terminent les contreforts; et c'est évidemment pour rompre la sécheresse de cette ligne horizontale, à laquelle la balustrade pleine n’apportait aucun allégement, que fut ménagée cette dentelure supérieure.

Ce qui caractérise les balustrades exécutées pendant le XIVème siècle, c'est l’adoption du système de panneaux de pierre percés chacun de leur ajour, séparés par un montant le long du joint, et recouverts d’un appui les reliant tous ensemble. Si l’appareil y gagnait, la succession de divisions verticales séparant chacun des panneaux juxtaposés ôtait l'aspect qu'elles avaient au XIIIème siècle d'un couronnement continu. d'une sorte de frise à jour, laissant aux lignes horizontales leur simplicité tranquille, nécessaire dans des monuments de cette étendue pour reposer les yeux, que les divisions régulières verti¬cales trop répétées fatiguent bientôt Les architectes étaient conduits à sacrifier l’art au raisonnement ; ils perdaient cette liberté qui avait permis à leurs prédécesseurs de mêler les inspirations du goût aux nécessités de la construction ou de l'appareil.

L’exercice de la liberté dans les arts n’appartient qu'au génie, et le génie avait fait place au calcul, aux méthodes, dès le commencement du XIVème siècle, dans tout ce qui tenait à l’architecture. Nous donnons ici (fig. 19) un exemple d’une balustrade exécutée en panneaux de pierre, tiré du bras de croix méridional de l’ancienne cathédrale de la cité de Carcassonne. La construction de cette balustrade remonte à 1325 environ. Il faut dire cependant que les formes des balustrades adoptées par les architectes du XIIIème siècle furent longtemps employées: on les amaigrissait, ainsi que nous l’avons vu dans l’exemple présenté dans la figure 15, on les surchargeait de moulures et de redents évidés ; mais le principe était souvent conservé ; toutefois on préférait les formes anguleuses aux formes engendrées par des combinaisons de demi-cercles; les courbes brisées étaient en honneur ; et des voûtes, des fenêtres, elles pé-nétraient jusque dans les plus menus détails de l'architecture. Le simple biseau, qui, au XIIIème siècle, était seul destiné à produire des jeux d’ombre et de lumière dans les balustrades, parut trop simple, lorsque tous les membres de l’architecture se subdivisèrent à l’infini.

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