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BALLUSTRADES
Romanes & Gothiques

Il ne faudrait pas cependant considérer les principes que nous posons ici comme absolus: si les architectes du XIIIème siècle étaient soumis aux règles de la logique, ils n’étaient pas ce que nous appelons aujourd’hui des rationalistes; le sentiment de la forme, l’à-propos avaient sur leur esprit une grande prise, et ils savaient au besoin faire plier un principe à certaines lois du goût qui, ne pouvant être formulées, sont d’autant plus impérieuses qu’elles s’adressent à l'instinct et non au raisonnement. C’est surtout dans les accessoires de l’architecture commandés par un besoin et nécessaires en môme temps à la décoration, que le goût doit intervenir et qu’il intervenait alors. Ainsi, en cherchant à donner à leurs balustrades prises dans des dalles découpées l’aspect d’un objet taillé dans une seule pièce, il fallait que ces parties importantes de la décoration ne vinssent pas, par leur forme, contrarier les lignes principales de l’architecture. Si les ajours obtenus au moyen de trèfles ou de quatrefeuilles juxtaposés convenaient à des balustrades continues non interrompues par des divisions verticales rapprochées, ces ajours produisaient un mauvais effet lorsqu'ils se développaient par petites travées coupées par des pinacles ou des points d'appui verticaux ; alors il fallait en revenir aux divisions multipliées et dans lesquelles la ligne verticale était rappelée, surtout si les balustrades servaient de couronnement supérieur à l'architecture. D’ailleurs les divisions des ajours de balustrades par trèfles ou quatrefeuilles étaient impérieuses, ne pouvaient se rétrécir ou s’élargir à volonté si une travée permettait de tracer cinq quatrefeuilles, par exemple, une travée plus étroite ou plus large de quelques centimètres dérangeait celle combinaison, ou obligeait le traceur à laisser seulement aux extrémités de sa travée de balustrade une portion de trèfle ou de quatrefeuille; ce qui n’était pas d’un heureux effet. Les divisions de balustrades par arcatures verticales permettaient au contraire d’avoir un nombre d’ajours complets, et il était facile alors de dissimuler les différences de largeur des travées.

La balustrade supérieure de la nef et du chœur de Notre-Dame de Paris, exécutés vers 1230, est divisée par travées inégales de largeur ; et c’est conformément à ce principe qu’elle a été tracée (fig. 10). De distance en distance, au droit des arcs-boutants et des gargouilles, un pilastre surmonté d’un gros fleuron sépare ces travées, sert en même temps de renfort à la balustrade, et maintient le déversement qui, sans cet appui, ne manquerait pas d’avoir lieu sur une aussi grande longueur .Mais, qu’on veuille bien le remarquer, si cette balustrade a quelque rapport avec celles qui, peu d’années auparavant, étaient construites par assises, on voit cependant que c’est un évidement, un ajour percé dans une dalle, et non un objet construit au moyen de morceaux de pierre superposés ; cela est si vrai, que l’on a cherché à éviter dans les ajours les évidements à angle droit qui peuvent provoquer les ruptures. Le pied des montants retombe sur le profil du bas, non point brusquement, mais s’y réunit par biseau formant un empattement destiné à donner de la force à ce pied et à faciliter la taille (fig. 11).

trilobes ouverts

On voit ici, en A, la pénétration des montants sur le profil formant traverse inférieure, et en B, la naissance des trilobés sur ces montants. Si les formes sont nettement accusées, si les lignes courbes sont franchement séparées des lignes verticales, cependant, soit par instinct, soit par raison, on a cherché à éviter ici toute forme pouvant faire supposer la présence d’un lit, d’une soudure. Mais, nous le répétons, les artistes de ce temps savaient, sans renoncer aux principes basés sur la raison, faire à l’art une large part, se sou-mettre aux lois délicates du goût. Si nous croyons devoir nous étendre ainsi sur un détail de l’architecture ogivale qui semble très-secondaire, c’est que, par le fait, ce détail acquiert en exécution une grande impor¬tance, en tant que couronnement. L’architecture du XIIème siècle veut que la balustrade fosse partie de la corniche ; on ne saurait la plupart du temps l’en séparer; sa hauteur, les rapports entre ses pleins et ses vides, ses divisions, sa décoration. doivent être combinés avec la largeur des travées, avec la hauteur des assises et la richesse ou la sobriété des ornements des corniches. Telle balustrade qui convient à tel édifice, et qui fait bon effet là où elle fut placée, semblerait ridicule ailleurs. Ce n’est donc pas une balustrade qu'il faut voir dans un monument, c’est la balustrade de ce monument; aussi ne prétendons-nous pas donner un exemple de chacune des variétés de balustrades exécutées de 1200 à 1300, encore moins faire supposer que telle balustrade de telle époque, appliquée à tel édifice d'une province, peut être appliquée à tous les édifices de cette môme époque et de cette province.

Nous voyons ici (fig. 10) une balustrade exécutée de 1230 à 1240. Cette balustrade est posée sur une corniche d’un grand édifice, où tout est conçu largement et sur une grande échelle. Aussi les espacements de pieds-droits sont larges, les trilobés ouverts; pas de détails, de simples biseaux, des formes accentuées pour obtenir des ombres et des lumières vives et franches, pour produire un effet net et facile à saisir à une grande distance. Or, voici qu'à la môme époque, à cinq ans de distance peut-être, on élève la sainte Chapelle du Palais, édifice petit, dont les détails par conséquent sont fins, dont les travées, au lieu d’être larges comme à la cathédrale de Paris, sont étroites et coupées par des gâbles pleins surmontant les archivoltes des fenêtres.

L’architecte fera-t-il la faute de placer sur la corniche supérieure une balustrade lâche, qui, par les grands espacements de ses pieds- droits, rétrécirait encore à l’œil la largeur des travées, dont on saisirait difficilement le dessin, visible seulement entre des pinacles et pignons rapprochés? Non pas : il cherchera au contraire à serrer l’arcature à jour de sa balustrade, à la rendre svelte et ferme cependant pour soutenir son couron¬nement; il obtiendra des ombres fines et multipliées par la combinaison de ses trilobés, par des ajours délicats percés entre eux ; il fera cette balustrade haute pour relier les gâbles aux pinacles (fig. 12)

balustrade sainte chapelle

et pour empêcher que le grand comble ne paraisse écraser la légèreté de la maçonnerie, pour établir une transition entre ce comble, ses accessoires importants et la richesse des corniches et fenêtres; mais il aura le soin de laisser à celte balustrade son aspect de dalle découpée, afin qu’elle ne puisse rivaliser avec les fortes saillies, les ombres larges de ces gâbles et pinacles. Dans le même édifice, l’architecte doit couronner un porche couvert en terrasse par une balustrade. Prendra-t-il pour modèle la balustrade du grand comble? Point : conservant encore le souvenir de ces belles claires-voies du commencement du XIIIème siècle, composées de colonnettes portant une arcature ferme et simple comme celle que nous avons donnée comprenant que sur un édifice couvert d’une terrasse, il faut un couronnement qui ait un aspect solide, qui prenne de la valeur autant par la combinaison des lignes et des saillies que par sa richesse, et qu’une dalle plate percée d’ajours avec de simples biseaux sur les arêtes ne peut satisfaire à ce besoin de l’œil, il élèvera une balus¬trade ornée de chapiteaux supportant une arcature découpée en trilobés, refouillée, dont les ombres vives viendront ajouter à l'effet de la corniche en la complétant, à celui des pinacles en les reliant (fig. 13).

balustrade 13ème siècle

Mais nous sommes au milieu du XIIIème siècle, et si la balustrade du porche delà sainte Chapelle est un dernier souvenir des primitives claires-voies construites au moyen de points d'appui isolés supportant une arcature, elle restera, comme construction, une balustrade de son époque, c'est-à-dire que les colonnettes reliées à leur base par une traverse, et les arcatures trilobées,, seront prises dans un même morceau de pierre évidé. La tablette d’appui sera seule rapportée. C’est ainsi qu’à chaque pas nous sommes arrêtés- par une transition, un progrès qu'il faut constater, et que nous devons presque toujours rendre justice au goût sûr de ces praticiens du XIIIème siècle qui savaient si bien tempérer les lois sèches et froides du raisonnement par l’instinct de l’artiste, par une imagination qui ne leur faillait jamais défaut.

Longtemps les balustrades furent évidemment un des détails de l’architecture ogivale sur lesquels on apporta une attention particulière ; mais il faut convenir qu’à la fin du XIIIe siècle déjà, si elles présentent des combinaisons ingénieuses, belles souvent, on ne les trouve plus liées aussi intimement à l’architecture ; elles sont parfois comme une œuvre à part ne participant plus à l’effet de l’ensemble, et le choix de leurs dessins, de leurs compartiments, ne paraît pas toujours avoir été fait pour la place qu'elles occupent- La balustrade supérieure du chœur de la cathédrale de Beauvais en est un exemple (fig. 14)

balustrade beauvais
Cathédrale de Beauvais

l'alternance des quartefeuilles posés en carré et en diagonale est heureuse; mais cette balustrade est beaucoup trop maigre pour sa place, les ajours en sont trop grands, et de loin elle ne prête pas assez de fermeté au couronnement. Sous cette balustrade, la corniche, bien que délicate, paraît lourde et pauvre en même temps. Nous retrouvons cette combinaison de balustrades, amaigrie encore, au-dessus des chapelles de l'église Saint-Ouen de Rouen (fig. 15).

balustrade  St Ouen Rouen

Saint Ouen, Rouen

Les défauts sont encore plus choquants ici, bien que cette balustrade en elle-même, et comme taille de pierre, soit un chef-d'œuvre d'exécution; mais, étant placée sur des côtés de polygones peu étendus, elle ne donne que quatre ou cinq compartiments; leur dessin ne se comprend pas du premier coup, parce que l'œil ne peut saisir cette combinaison alternée, qui serait heureuse si elle se développait sur une grande longueur. L’excessive maigreur de cette balustrade lui donne l'apparence d’une claire-voie de métal

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