Ce mot grec, est celui qui sert à désigner dans l’architeture des statues faisant l’office de colonnes. Les Grecs usent, pour désigner de semblables statues, deux autres mots, atlantes et telamones, qui, formés de deux verbes signifiant porter, supporter, indiquent de la façon la plus précise la destination et l’emploi de ces statues. Ces mots n’ont point passé en France dans la langue commune. Celui de cariatide est, à proprement parler, le seul que l’usage ait consacré à désigner ce genre particulier de colonnes formées par des figures, de quelque nature ou sexe qu’elles soient. On ajoute volontiers le mot figure à celui de cariatide , qui semble alors devenir un adjectif, et l’on dit figure cariatide, ordre cariatide. C’est donc à ce mot que nous rapporterons le plus grand nombre des notions, soit d’histoire ou de description, soit de théorie, que ce sujet nous semble comporter.
Si nous demandons au mot cariatide, c’est-à-dire à son étymologie, de nous apprendre l’origine des statues colonnes, voici, selon Vituvius, quelle fut la cause ou l’occasion qui fit employer des statues de femmes, par l’architecture, à servir de support en place des colonnes. Les habitants de Carie , ville du Péloponnèse s’étaient joints aux Perses dans une guerre que ceux-ci avoient faite aux autres peuples de la Grèce. Une victoire aussi glorieuse que complète mit les Perses eu fuite, termina cette guerre, mais ne satisfit pas les justes ressentiments des Grecs : ils tournèrent leurs armes contre les Cariâtes, prirent leur ville, la ruinèrent, et passèrent les hommes au fil de l’épée. La vengeance des vainqueurs réservait aux femmes de Carie un traitement plus cruel encore. Destinées à la pompe du triomphe, elles en suivirent la marche selon l'usage; mais, par un raffinement nouveau d’opprobre et d’humiliation, on les força d’en prolonger le spectacle.
A cet effet, on ne permit point aux femmes de distinction de quitter les attribus de laur ancienne position sociale: réduites à traîner dans une honteuse captivité les vêtements de leur ancienne opulence, elles devinrent l’aliment journalier d’une curiosité insultante ou d’une humiliante pitié. L’effet de ces outrages et leur durée devaient encore s’étendre et s’accroître au-delà du terme de leur vie : la sculpture se chargea d’en éterniser la mémoire par la représentation durable de leurs traits et de leurs personnes.
L’architecte historien qui nous a conservé cette curieuse histoire , ne nous apprend point quelle fut la ville où l’on se plut à perpétuer ainsi ces trophées de la vengeance. Si toutefois on s’en rapporte aux pro¬pres paroles de son récit, ces effigies de servitude au¬raient servi de support à plus d’un édifice, et plus d’un architecte aussi se serait prêté à satisfaire, par plus d’une répétition de ces images captives.
Cariatides, Hotel Beringuier, Toulouse
Pour compléter ce que Vituvius nous apprend sur l’origine des statues colonnes, nous devons rapporter la suite de son passage, qui a rapport aux statues viriles appliquées au même usage , et qu’on a nommées statues persiques. Parmi les bâtiments publics et les tribunaux dont la principale place de Lacédémone était environnée, on distinguait surtout le portique des Perses soutenu par des effigies de captifs. L’entablement n’y reposait pas (selon l’usage) sur des colonnes, mais il était immédiatement supporté par des statues colossales de marbre blanc, qui représentaient les principaux chefs de l’armée de Xerxès pris ou tués à la bataille de Platée ; Mardonius y paraissait dans l’attitude humiliante des captifs, et vêtu selon le costume asiatique usité pour les satrapes de la Perse ou de Médie. Cet écrivain ajoute que de là vint l’usage, suivi par plusieurs architectes, d’employer des statues persiques à supporter les entablements, ce qui fournit aux édifices un surcroît de décorations variées.
Les Egyptiens, si l’on en juge d’après l'imitation sans art de leur sculpture, d’après le genre d’immobilité de leurs statues et leur goût pour le colossal, nous paraissent avoir pu employer eu place de colonnes des idoles très-propres dans le fait à servir de support. Deux passages de Diodore de Sicile nous donnent à l'entendre. On peut conclure de ceci qu’il y eut en Egypte, et dès la haute antiquité, des idoles destinées à figurer ou remplacer des colonnes, sans qu’il soit nécessaire que les Spartiates, après la défaite des Perses, aient eu la moindre idée de faire à l’Egypte l’emprunt des statues colonnes.
Cariatides à Marseille, France, 1883.
Le monument tout à la fois le plus authentique et le plus précieux que l’antiquité grecque nous ait transmis sur l’emploi des cariatides, est à Athènes un petit édifice qui fait comme une dépendance du temple de Minerve Poliade. C’est un portique dont l’entablement est porté par six statues de femmes en marbre, quatre dans la façade, deux à chacun des petits côtés, en comptant celle de l’augle. Les statues reposent sur un soubassement fort élevé qui ferme l'enceinte de ce petit péristyle. Du sommet de la tête de chacune s’élève un chapiteau composé avec goût, qui va s'élargissant et se terminant par une sorte de tailloir qui offre une assiette suffisante à l’architrave. Il y a de nombreux témoignages de statues utilisées comme support dans l'architecture grecque. Par exemple, le sculpteur Dathycles, à une époque fort antérieure à la guerre des Perses, avoit donné pour supports au trône d’Amyclée, des figures représentant les Grâces et les Heures.
Cariatides& Atlantes à Saint Petersbourg
Reconstitution par Piranèse des cariatides de la villa Appia
On pourraitaussi attribuer à l'influence grecque les belles statues cariatides de femmes qui soutiennent le petit péristyle des jardins de la villa Albani à Rome. Quand on a lu les passages de Vitruvius rapportés plus haut, et dont il résulte que plus d’un architecte avoit dû reproduire dans plus d’un édifice des répétitions de femmes employées en statues à la décoration architecturale, au lieu de colonnes, on a beaucoup de peine à se dissuader que les cariatides de la villa Albani aient été des figures de cette espèce, transportées de la Grèce à Rome.
Les Romains, qui, en architecture surtout, empruntèrent tout aux Grecs, leur durent bientôt, sous le règne d'Auguste, un très magnifique emploi des cariatides. Le Panthéon d’Agrippa, d’après la notion que Pline nous a transmise, en offrit un des plus remarquables exemples. Ces figures étaient l’ouvrage du sculpteur Diogène, d’Athènes. Winckemann a cru voir dans la figure vulgairement appelée Persique, au palais Farnèse, une des figures qui auraient pu entrer dans la décoration intérieure du Panthéon. Comme, selon toutes les apparences, ces cariatides avoient du occuper dans l’intérieur du temple l’espace de l’attique actuel, jugé par tous les connaisseurs comme étant une restauration moderne, on a cru trouver une preuve de cette disposition dans le rapport de hauteur entre l’espace dont on a parlé, et la figure tronquée qui porte sur sa tête un chapiteau en forme de corbeille.
Salonique nous montre encore un assez beau reste de monument, où des colonnes corinthiennes supportent un entablement au-dessus duquel règne un attique formé de pilastres quadrangulaires isolés. Sur les deux faces plus larges de ces pilastres, sont sculptées des figures d’un assez fort relief, dont la hauteur est à peu près la même que celle des pilastres.
Maison des Cariatides, 18 rue Chaudronnerie à Dijon.
Cette maison fut construite par les Pouffiers, une famille de marchands chaudonniers, au début du XVIIème siècle. Le décor comprend cariatides et atlantes.
Ces figures, et la place qu’elles occupent, semblent bien correspondre aux colosses cariatides du temple d’Agrigente. Cependant ceux-ci ne laissent dans leur attitude, et celle de leurs bras reployés sur leurs têtes, aucun doute sur leur fonction de télamons ou porteurs. Or, il nous semble que, pour prononcer avec certitude que des figures sculptées de bas-relief, ou de ronde bosse, ont fait fonction de cariatides ou de télamons, dans l’architecture, il faut, ou qu’elles expriment par leur attitude l’action de supporter, ou que leurs têtes soient surmontées d’un chapiteau quelconque.
Toutefois le premier monument moderne, en fait de cariatides, qui doive paraître digne d’être cité comme une parfaite imitation du style des anciens, est la célèbre tribune de Jean Goujon, dans une des salles du Louvre. On ne saurait dire si, à cette époque, quelque révélation des ouvrages de la Grèce, en ce genre, autre que celle qu’il put trouver dans Vitruvius, serait parvenue à cet artiste. Si Jean Goujon les ignora , le mérite de l’idée et de sa composition lui appartenant, on ne saurait trop vanter son génie ; mais s’il eut quelque connaissance des œuvres du ciseau grec, une imitation semblable, qui ne consisterait que dans la répétition du simple motif, ne lui ôterait en rien sa valeur de l’originalité.
En effet, ces colosses cariatides de douze pieds de haut, qui déjà, par leur volume et leur hauteur, surpassent de beaucoup les statues athéniennes, n’ont avec elles d'autre ressemblance que celle de leur genre et de leur disposition symétrique. Mais le parti de leurs draperies est tout différent, et entièrement de l'invention du sculpteur qui excellait en ce genre. Le chapiteau qui s’élève sur leurs tètes a cette particularité, qu’au lieu de s’identifier avec elles il en est isolé par des draperies. Chaque figure pose sur un piédestal de forme circulaire et richement orné. A ceci près de quelques critiques auxquelles l’entablement pourrait donner lieu, on doit dire de cet ouvrage, qu’il est précieux quant à la sculpture, grand dans sa conception, et aussi remarquable par son caractère que par sa belle exécution.
Cariatides à l'entrée des grands magasins Macy's à New York.